Suite au récent commentaire de Didier sur la fiche de culture de la carotte, il m’a paru important de rédiger cet article sur la production de graines de carottes.
Depuis toujours, je suis en effet convaincu qu’il y a des risques de croisements entre carottes et cigües… et je me suis donc toujours abstenu de produire moi-même mes semences de carottes, tout comme je l’ai toujours fortement déconseillé à tous…
Je me souviens que l’on nous parlait alors de décès (rares mais réels) conséquents à la consommation de carottes « contaminées » par du pollen de cigüe.
Oui, mais voila… En faisant des recherches pour rédiger cet article, je n’ai trouvé aucune trace de ce danger que j’ai toujours considéré comme bien réel…
Alors, ces « vérités » apprises il y a plusieurs dizaines d’années sont-elles remises en question ?
Peut-on raisonnablement produire ses graines de carottes ?
A défaut de pouvoir répondre catégoriquement à ces questions, essayons d’être le plus complet possible…
Mode de reproduction des graines de carottes
La carottes appartient à la famille des apiacées (ex ombellifères).
C’est une plante allogame, ce qui signifie que la pollinisation a lieu entre pollen et ovule de fleurs différentes.
Le pollen peut être transporté par des insectes (coccinelles, papillons, etc…), des oiseaux ou encore par le vent.
Le pollen de carottes peut ainsi parcourir sans problème plusieurs centaines de mètres. Ce qui expose cette plante à de la pollinisation croisée… D’où les précautions à prendre pour reproduire fidèlement une variété de carottes (nous en parlerons plus bas). D’où peut-être aussi cette « fausse » croyance…
Reproduction semences apiacees
En théorie, les croisements entre carottes et cigües sont impossibles.
Voici ce que je trouve dans mes vieux cours de biologie végétale : « Il n’y a pas de risque de pollinisation croisée entre les carottes (Daucus carota) et les ciguës (Conium maculatum), car ces deux plantes, bien qu’appartenant à la même famille botanique, celle des Apiacées (ou Ombellifères), sont des espèces distinctes et incompatibles sur le plan génétique. Les espèces végétales ne peuvent généralement pas se croiser avec d’autres espèces, même si elles sont proches dans la classification botanique. »
A première vue, tout cela confirmerait que je me trompais lourdement sur la possibilité de croisements entre cigües et carottes… Si il n’y a avait ce terme de « généralement », qui sous-entend implicitement qu’il y a des exceptions…
Incompatibilité génétique
Les carottes et les ciguës sont des espèces différentes avec des structures génétiques distinctes. Cela signifie que leur pollen ne peut (théoriquement) pas fusionner pour produire des graines viables, même si elles se trouvent à proximité l’une de l’autre et partagent un environnement.
Notons ici le terme « graines viables ». Ce qui veut dire que, si par accident, des graines hybrides se formaient, elles seraient stériles… On n’obtiendrait donc pas de plantes en semant ces graines…
Pollinisation spécifique
Les carottes sont principalement pollinisées par des insectes qui transportent le pollen de fleur en fleur, généralement de la même espèce. Même si un insecte devait accidentellement transporter du pollen de cigüe sur une carotte (ou vice-versa), cela ne produirait pas de graines hybrides, car les espèces ne sont pas compatibles.
Conservation des espèces distinctes
Même si elles appartiennent à la même famille des Apiacées, carottes et ciguës ont évolué séparément et sont conservées en tant qu’espèces distinctes. Il n’y a pas de mécanisme naturel de reproduction croisée entre elles.
Risque de confusion visuelle, mais pas de croisement
Le véritable danger lié à la cigüe et à la carotte sauvage est davantage un risque de confusion visuelle entre les deux plantes. La cigüe est une plante extrêmement toxique, et elle peut ressembler à la carotte sauvage, en particulier lors des premiers stades de développement. Mais cela n’affecte pas la production de graines de carottes en soi.
En résumé, bien que carottes et ciguës soient toutes deux des Apiacées et puissent se ressembler, la pollinisation croisée entre elles est théoriquement impossible en raison de leur incompatibilité génétique (qui n’est pas une vérité absolue… nous en reparlons plus bas). Le véritable risque lié à la cigüe n’est pas la pollinisation croisée, mais plutôt la confusion entre les deux plantes, qui pourrait entraîner des intoxications si l’on consommait accidentellement de la cigüe à la place de la carotte sauvage.
La théorie, c’est bien… Mais, pour éviter tout risque de croisement, une reproduction sous contrôle est indispensable.
Pourquoi est-il préférable de laisser faire les pros pour la production de graines de carottes ?
Produire soi-même ses graines de carottes peut être risqué pour plusieurs raisons, en particulier si l’on souhaite obtenir des carottes de qualité semblable à celles cultivées commercialement.
Voici les principaux risques associés à la production de graines de carottes :
Pollinisation croisée
Avec la carotte sauvage
Les carottes sont des plantes allogames, c’est-à-dire qu’elles nécessitent du pollen d’une autre plante pour produire des graines.
Le risque avec la production de ses propres graines est la pollinisation croisée avec des plantes apparentées, comme la carotte sauvage (Daucus carota), qui pousse souvent à proximité.
La carotte sauvage peut introduire des caractéristiques indésirables dans les graines, comme des racines fines, dures ou fourchues, qui ne sont pas comestibles.
Avec la cigüe
Et, on y revient… les croisements intergéniques, même s’ils demeurent exceptionnels, existent bien (celui entre le triticale et le seigle étant bien connu), comme l’indique brockadamorr ici (la » pruche empoisonnée » n’est autre que la grande cigüe).
Concernant la carotte et la cigüe, les chances que cela se produise seraient en réalité infimes (« il est peu probable que la carotte se croise avec la pruche empoisonnée. »)… Mais infimes ne veut pas dire impossibles…
Variabilité génétique
Je recommande les variétés anciennes, stables.
Mais force est de constater que les carottes cultivées sont souvent des variétés hybrides F1.
Les hybrides F1 sont créés par croisement contrôlé de deux variétés distinctes pour obtenir des plantes aux caractéristiques homogènes (taille, couleur, forme, etc.).
Si l’on produit soi-même des graines de carottes issues d’une variété hybride, les carottes issues de ces graines risquent d’être très variables en termes de qualité, car elles ne conserveront pas les caractéristiques exactes de la plante mère. On parle alors de segmentation génétique.
En clair, s’il est possible, sous condition d’isolement des portes-graines (voir plus bas et dans le document PDF) de reproduire fidèlement une variété ancienne de carotte, vous n’avez aucune chance d’y parvenir avec des variétés hybrides.
Conditions de stockage et de maturation
Produire des graines de carottes nécessite de laisser la plante entrer en montée en graines, ce qui signifie que la carotte doit rester en terre pendant deux ans (les carottes sont des plantes bisannuelles).
Pendant cette période, il est possible que des maladies, des insectes ou des mauvaises conditions climatiques nuisent à la qualité des graines.
De plus, il faut s’assurer que les graines sont récoltées au bon moment et correctement séchées pour éviter qu’elles ne pourrissent ou ne perdent leur pouvoir germinatif.
Isolement requis pour maintenir la pureté variétale
Si vous voulez maintenir une variété pure, vous devez isoler vos plantes d’autres variétés de carottes ou de carottes sauvages sur une distance significative (généralement 500 à 1 000 mètres).
Ceci est difficile à réaliser pour les jardiniers amateurs qui cultivent souvent plusieurs variétés dans de petites parcelles, sans parler du voisinage et de la proximité éventuelle de carottes sauvages.
Mais, comme vous pouvez le voir sur le document PDF plus haut, d’autres méthodes (pollinisation par encagement, pollinisation manuelle par ensachement) sont possible, et même obligatoires pour assurer la pureté de la variété…
Montée en graines prématurée)
Si vous ne choisissez pas les plantes correctement pour produire des graines, certaines variétés peuvent être plus sujettes à la montée en graines précoce.
Cela signifie que vous pourriez obtenir des carottes qui produisent rapidement des fleurs et des graines avant de développer une racine comestible, réduisant ainsi la production de carottes utilisables.
En résumé, par principe de précaution (nous ne pouvons écarter à 100 % le risque de croisement entre carottes, ou autres plantes comestibles de la même famille, avec la cigüe), mais aussi pour assurer une fidèle reproduction de la variété (notamment sans qu’elle soit croisée avec la carotte sauvage), je continuerai à m’abstenir de produire moi-même mes graines de carottes et, de manière plus large, d’ombellifères…
Ou, si je trouve l’envie et le temps de le faire, j’appliquerai au moins scrupuleusement les méthodes de pollinisation par encagement ou de pollinisation manuelle par ensachement (telles que décrites dans le document PDF figurant sans cet article).
Au final, pour garantir des carottes de qualité constante, il me semble tout de même plus sage d’acheter des graines de carottes certifiées auprès de semenciers bio professionnels.
Je ne doute pas que des jardiniers récoltent et utilisent leurs semences de carottes depuis des années… sans précaution particulière et sans avoir pour autant constaté de conséquences sanitaires… Mais cela ne prouve en aucun cas qu’il n’y a aucun risque… Cela démontre juste qu’il n’y a pas eu en l’occurrence de croisement dangereux…
On en parle en commentaires ?
Sources :
- « Produire ses graines bio » de Christian Boué (Editions Terre Vivante)
- « Le plaisir de faire ses graines » de Jérôme Goust (Editions de Terran)
- https://www.lechemindelanature.com/articles/a/tout-sur-les-cigues-famille-ombellieres-qui-peut-tuer
- https://www.reddit.com/r/seedsaving/comments/mo4twe/comment/gu2ujo1/
- Mes cours de biologie végétale
Crédit photos : Didier et https://depositphotos.com/fr/
